Chapitre 14 : Les Larmes de Veylnor

Le silence qui suivit l’éveil du Tribunal était plus terrible que n’importe quel cri.

Autour du cercle, les flammes vacillaient sans mourir, comme retenues par une respiration étrangère. La faille murale, désormais large comme une porte, laissait entrevoir un passage noir strié de symboles mouvants, comme si les pierres elles-mêmes tentaient de fuir ce qu’elles contenaient.

Sélénéa, pâle, la main encore ensanglantée, gardait les yeux fixés sur l’ouverture.

— « Je dois y aller, » dit-elle.

Fyrael s’interposa.

— « Pas seule. »

Mais déjà, Neryda s’avançait, un parchemin en main.

— « Ce n’est pas un simple seuil. C’est l’entrée des Cryptes de Veylnor. Là où dort le Tribunal, scellé depuis la Fin du Premier Accord. Ce lieu… se défend contre les indignes. »

— « Tu veux dire… il est vivant ? » demanda Fyrael, sourcils froncés.

— « Plus que cela. Il juge. À chaque pas, il déterre en vous ce que vous avez voulu oublier. »

Sélénéa regarda sa main, la marque des tisseuses y pulsait lentement.

— « Alors je n’ai rien à cacher. »

—

Le passage les avala sans bruit.

D’abord, il n’y eut que l’obscurité. Une obscurité dense, presque liquide, où leurs torches n’éclairaient qu’un cercle tremblant. Les murs semblaient faits d’obsidienne, mais parcourus de veines rouges, palpitantes comme des artères.

Puis vinrent les larmes.

Des gouttes tombaient du plafond, cristallines, mais brûlantes comme l’acide. Elles portaient les souvenirs d’anciens pacteurs : des voix, des rires, des aveux d’amour ou de trahison, chaque larme contenant une mémoire.

Sélénéa sentit une larme tomber sur son épaule nue — et une scène surgit devant ses yeux : elle, enfant, courant dans les bois avec une femme aux cheveux d’or, qui riait d’un rire pur.

— « Mère… » souffla-t-elle, vacillante.

— « Ne t’arrête pas, » dit Fyrael, sa voix plus grave. « Ces visions… elles veulent nous faire douter. »

Mais lui-même chancela. Une larme avait touché son front. Il voyait un autre monde, un champ de bataille, des loups brûlant dans une mer de flammes, et un roi-ombre lui tendant une couronne d’os.

Ils continuèrent.

Les couloirs se succédaient, chaque tournant plus ancien que le précédent. Des fresques gravées montraient les premières signatures du Pacte, les anciennes races unies sous un même serment, et l’arrivée des juges — ces entités sans nom, aux yeux bandés, portant balances et chaînes.

Puis enfin, au cœur d’une salle souterraine, ils trouvèrent la Voûte des Jugements.

Douze trônes de pierre noire. Un autel central. Et au-dessus, suspendue dans l’air, une larme gigantesque figée dans le cristal — la Larme de Velorn.

Et une voix. Grave. Inhumaine.

« Vous avez réveillé ce qui devait dormir. Vous avez ravivé l’écho. Qui porte la faute ? Qui offrira l’équilibre ? »

Neryda tomba à genoux, tremblante.

Sélénéa avança. Sa voix, pourtant faible, résonna comme un tambour sacré.

— « Je suis Sélénéa d’Aeloria. Héritière du Premier Serment. Porteuse de mémoire et de dette. C’est moi qui demande l’audience. »

Un souffle parcourut la salle.

Les trônes s’illuminèrent un à un. Et lentement… un par un, les Juges prirent forme.